NOTIONS PRÉLIMINAIRES. LE MOT
CHAPITRE I
1. NOTIONS PRÉLIMINAIRES
§ 1. Objet d'étude de la lexicologie.
§ 2. Les aspects synchronique et diachronique des études lexicologiques.
§ 3. Le vocabulaire en tant que système.
CHAPITRE II
2. LE MOT
§ 1. Le mot - unité fondamentale de la langue.
§ 2. Le mot (son enveloppe matérielle) et la notion.
§ 3. La signification en tant que structure.
§ 4. Le sens étymologique du mot.
§ 5. Caractéristique phonétique des mots en français moderne.
§6. Caractéristique grammaticale du mot en français moderne.
§ 7. L'identité du mot.
CHAPITRE I
NOTIONS PRÉLIMINAIRES
§ 1. Objet d'étude de la lexicologie. Le terme « lexicologie », de provenance grecque, se. compose de deux racines: « lexic(o)" de « lexikon » qui signifie « lexique » et « log » de « logos » qui veut dire « mot, discours, traité, étude ».
En effet, la lexicologie a pour objet d'étude le vocabulaire ou le lexique d'une langue, autrement dit. l'ensemble des mots et de leurs équivalents considérés dans leur développement et leurs liens réciproques dans la langue.
Le vocabulaire constitue une partie intégrante de la langue. Aucune langue ne peut exister sans mots. C'est d'après la richesse du vocabulaire qu'on juge de la richesse de la langue en entier. De là découle l'importance des études lexicologiques.
La lexicologie peut être historique et descriptive, elle peut être orientée vers une ou plusieurs langues. La lexicologie historique envisage le développement du vocabulaire d'une langue des origines jusqu'à nos jours, autant dire qu'elle en fait une étude diachronique. Elle profite largement des données de la linguistique comparée dont une des tâches est la confrontation des vocables de deux ou plusieurs langues afin d'en établir la parenté et la généalogie.
La lexicologie descriptive s'intéresse au vocabulaire d'une langue dans le cadre d'une période déterminé, elle en fait un tableau synchronique. La lexicologie descriptive bénéficie des études typologiques qui recherchent non pas à établir des généalogies, mais à décrire les affinités et les différences entre des langues indépendamment des liens 'de parenté.
Il n'y a guère de barrière infranchissable entre la lexicologie descriptive et la lexicologie historique, vu qu'une langue vivante envisagée à une époque déterminée ne cesse de se développer.
Ce cours de lexicologie sera une étude du vocabulaire du français moderne, considéré comme un phénomène dyna mique.
Notons que la lexicologie est une science relativement jeune qui offre au savant un vaste champ d'action avec maintes surprises et., découvertes.
§ 2. Les aspects synchronique et diachronique des études lexicologiques. La langue prise dans son ensemble est caractérisée par une grande stabilité. Pourtant elle ne demeure pas immuable. C'est en premier lieu le vocabulaire qui subit des changements rapides, se développe, s'enrichit, se perfectionne au cours des siècles.
La lexicologie du français moderne est orientée vers le fonctionnement actuel des unités lexicales en tant, qu'éléments de la communication. Cependant la nature des faits lexicologiques tels qu'ils nous sont parvenus ne saurait être expliquée uniquement à partir de l'état présent du vocabulaire. Afin de pénétrer plus profondément les phénomènes du vocabulaire français d'aujourd'hui, afin d'en révéler les tendances actuelles il est nécessaire de tenir compte des données de la lexicologie historique.
Ainsi, c'est l'histoire de la langue qui nous renseigne sur le rôle des divers moyens de formation dans l'enrichissement du vocabulaire. Une étude diachronique du vocabulaire nous apprend que certains moyens de formation conservent depuis des siècles leur vitalité et leur productivité (par exemple, la formation des substantifs abstraits à l'aide des suffixes - ation, - (e) ment, - âge, - ité, - ce), d'autres ont acquis depuis peu une importance particulière (ainsi, la formation de substantifs avec les suffixes - tron,. - rama), d'autres encore perdent leur ancienne productivité (telle, la formation des substantifs avec les suffixes - esse, - ice, - ie). f • Les phénomènes du français moderne tels que la polysémie, l'homonymie, la synonymie et autres ne peuvent être I expliqués que par le développement historique du vocabuдaire.
Le vocabulaire de toute langue est excessivement composite. Son renouvellement constant est dû à des facteurs très variés qui ne se laissent pas toujours facilement révéler. C'est pourquoi' l'étude du vocabulaire dans toute la diversité de ses phénomènes présente une tâche ardue. Pourtant le vocabulaire n'est point une création arbitraire. Malgré les influences individuelles et accidentelles qu'il peut subir, le vocabulaire d'une langue sa développe j^rogresslveii^erit selon ses propres lois qui en déterminent les particularités.
L'abondance des homonymes en français en comparaison du russe n'est pas fortuite; ce n'est guère un fait du hasard que; la création de mots nouveaux par"le passage d'une catégorie lexico-grammaticale dans une autre (blanc, adj. - le blanc Ides yeux], subst) soit plus productive en français qu'en russe. Ces traits distinctifs du vocabulaire français doivent être mis en évidence dans le cours de lexicologie.
Si l'approche diachronique permet d'expliquer l'état actuel du vocabulaire, l'approche synchronique aide à révéler les facteurs qui en déterminent le mouvement progressif. En effet, le développement du vocabulaire se fait à partir de nombreux modèles d'ordre formel ou sémantique qui Sont autant d'abstractions de rapports différents existant entre les vocables à une époque déterminée. On pourrait citer l'exemple du suffixe - on tiré récemment du mot électron et servant à former des termes de physique (positon, hégaton). L'apparition de ce suffixe est due à l'opposition du mot électron aux mots de la même famille électrique, électricité.
Le suffixe - Ing d'origine anglaise a des chances de s'imposer au français du fait qu'il se laisse facilement dégager d'un grand nombre d'emprunts faits à l'anglais. Tel a été le sort de nombreux suffixes d'origine latine qui aujourd'hui font partie du répertoire des suffixes français. Par conséquent, les multiples liens qui s'établissent entre les unités lexicales à une époque donnée créent les conditions linguistiques de l'évolution du vocabulaire. Ainsi la synchronie se rattache intimement à la diachronie. .
§ 3. Le vocabulaire en tant que système. Dans la série hardiesse, audace, intrépidité, témérité chacun des membres se distingue, par quelque indice sémantique quf~eTr constitue l'individualité et la raison d'être: hardiesse désigne une qualité louable qui pousse à tout oser, audace suppose une hardiesse excessive, immodérée, intrépidité implique le mépris du danger, témérité rend l'idée d'hardiesse excessive qui agit au hasard, et par conséquent, prend une nuance dépréciativeA.
On peut prévoir, sans risque de se tromper, que si encore un synonyme venait à surgir il aurait reçu une signification en fonction de celles de «ses prédécesseurs». Et, au con traire, il est probable que la disparition d'un des synonymes serait suivie de la modification sémantique d'un des autres membres de la série qui aurait absorbé la signification du synonyme disparu.,' '. •"'"
4iajis la diachronie les moindres modifications survenues à quelque vocable se font infailliblement sentir sur d'autres vocables reliés au premier par des liens divers. Il est aisé de s'en apercevoir. Les modifications sémantiques d'un mot peuvent se répercuter sur les mots de la même famille. Le mot habit voulait dire autrefois « état » - 'cocTOHHHe'; en prenant le sens de « vêtement » il a entraîné dans son développement sémantique le verbe habiller formé de « bille » - 'partie d'un arbre, d'un tronc préparée pour être travaillée'; ' l'apparition des dérivés habilleur, habillement, déshabiller est due à l'évolution sémantique du verbe. L'emploi particulier d'un mot peut également avoir pour résultat la modification de sa signification. AinSj, par exemple, un mot qui se trouve constamment en voisinage d'un autre mot dans la parole peut subir l'influence sémantique de ce dernier. Tels sont les cas des substantifs pas, point, de même que rien, personne, guère qui ont fini par exprimer la négation sous l'influence de ne auquel ils étaient rattachés.
Il s'en suit que dans l'étude du vocabulaire une importance particulière revient aux rapports réciproques qui s'établissent entre les unités lexicales.
Le système du lexique, comme tout autre système, suppose l'existence d'oppositions. Ces oppositions s'appuient sur des rapports associatifs ou virtuels existant au niveau de la langue-système. Elles appartiennent au plan paradig-matique. Chaque unité lexicale entretient, en effet, divers rapports associatifs avec les autres unités. Prenons l'exemple de F. de Saussure qui est celui du mot enseignement. A partir du radical enseignement est en rapport paradigmatique avec enseigner, enseignons, enseignant, etc.; envisagé sous l'angle sémantique il s'associe à instruction, apprentissage, éducation, etc. L'ensemble des unités entretenant entre elles nelle permet au lexicologue de déceler les facultés comblna-toires des mots et de leurs éléments constituants (constituants immédiats, morphèmes, phonèmes).
L'analyse distributionnelle rejoint la méthode contextuelle qui consiste dans la présentation des phénomènes linguistiques dans un contexte verbal déterminé. Cette dernière méthode est largement utilisée dans les récents ouvrages lexicographiques soucieux de fournir aux usagers un riche inventaire d'emploi des vocables afin d'en rendre plus tangibles les nuances sémantiques et l'usage.
Vu que tout mot construit peut être transformé en une construction syntaxique la méthode transformationnelle s'avère utile lorsqu'on veut en préciser le caractère et le degré de motivation. Par exemple, la transformation de jardinet - petit jardin nous autorise à affirmer que ce mot construit est motivé par le mot jardin qui en est la base dériva-tionnelle; en plus, elle permet de constater le plus haut degré de la motivation puisque les deux éléments constituant le mot jardinet/jardin-et/soni suffisants pour en déterminer le sens (le suffixe - et à valeur diminutive équivalant sémantiquement à 'petit'). Par contre, la transformation de graveur - personne qui grave, tout en nous renseignant sur le mot de base (graver), n'en épuise pas la signification qui est « personne dont le métier est de graver » (cf. faucheur - « personne qui fauche »); ce fait signale une motivation inférieure, dite idiomatique.
Il n'est pas toujours aisé d'établir la direction dérivative pour deux mots qui supposent un rapport dérivationnel. Tel est, par exemple, le cas de socialisme et socialiste. La méthode transformationnelle permet, en l'occurrence, d'expliciter la direction dérivative: socialiste devra être interprété comme étant dérivé de socialisme du fait que la transformation socialiste - partisan du socialisme est plus régulière 1 que la transformation socialisme - doctrine des socialistes. Ainsi la méthode transformationnelle rend un service aux lexicologues dans l'examen des rapports dérivationnels existant au sein du vocabulaire.
Dans les études portant sur le contenu sémantique des vocables on fait appel à l'analyse componentielle (ou sémi-que). Cette dernière vise à déceler les unités minimales de signification (composants sémantiques, traits sémantiques ou sèmes) d'une unité lexicale (mot ou équivalent de mot). L'analyse componentielle met en évidence non seulement la structure profonde de la signification 1t mais aussi les rapports sémantiques qui existent entre les vocables faisant partie des séries synonymiques, des groupes lexico-sémanti-ques, des champs syntagmatiques et autres groupements. Les méthodes spéciales appliquées en lexicologie visent à décrire de façon plus explicite la forme et le contenu des unités lexicales, ainsi que les rapports formels et sémantiques qu'elles entretiennent.
CHAPITRE II
Le mot.
§ 1. Le mot - unité fondamentale de la langue.
Le mot est reconnu par la grande majorité des linguistes comme étant une des unités fondamentales, voire l'unité de base de la langue. Cette opinion qui n'a pas été mise en doute pendant des siècles a été révisée par certains linguistes contemporains. Parmi ces derniers il faut nommer des représentants de l'école structuraliste, et en premier lieu des linguistes - américains tels que Harris, Nida, Gleason, selon lesquels non pas le mot, mais le morphème serait l'unité de base de la langue. Conformément à cette conception la langue se laisserait ramener aux morphèmes et à leurs combinaisons a.
Dans la linguistique française on pourrait mentionner Ch. Bally qui bien avant les structuralistes américains avait déjà exprimé des doutes sur la possibilité d'identifier le mot. Son scepticisme vis-à-vis du mot perce nettement dans la citation suivante: « La notion de mot passe généralement pour claire; c'est en réalité une des plus ambiguës qu'on rencontre en linguistique » 9. Après une tentative de démontrer les difficultés que soulève l'identification du mot Ch. Bally aboutit à la conclusion qu' « II faut... s'affranchir de la notion incertaine de mot ». En revanche, il propose la notion de sémantème (ou sème) qui serait « un signe exprimant un* Idée purement lexicale » *, et la notion de molécule
L'asymétrie qui est propre aux unités de la langue en général est particulièrement caractéristique du mot. Cette asymétrie du mot se manifeste visiblement dans la complexité de sa structure sémantique. Le même mot a le don de rendre des significations différentes. Les significations mêmes contiennent des éléments appartenant à des niveaux différents d'abstraction. Ainsi, le mot exprime des significations catégorielles: l'objet, l'action, la qualité. Ces significations sont à la base de la distinction des parties du discours. A un niveau plus bas le mot exprime des significations telles que la nombrabilité/la non-nombrabilité, un objet inanimé/un être animé. A un niveau encore plus bas le mot traduit diverses significations lexicales différencielles.
Notons encore que le mot constitue une réalité psychologique: c'est avant tout les mots qui permettent de mémoriser nos connaissances et de les communiquer.